vendredi 18 février 2011

La Bastille ou « l’enfer des vivants »

La Bastille ou « l’enfer des vivants » est une exposition dédiée à la célèbre prison, qui vient de se terminer (novembre 2010 - février 2011) et qui s'est tenue à la Bibliothèque de l'Arsenal (1 rue de Sully, dans le 4ème arrondissement), située face au Pavillon de l’Arsenal. L'exposition retrace l'histoire de la Bastille à travers de nombreux documents...

Dès l'entrée de l'exposition, on peut admirer cette maquette de la Bastille, réalisée en 1790 à partir d'une pierre de l'édifice. La construction de la Bastille a été entreprise dès 1365 sous l'initiative de Charles V. A l'origine, elle est un lieu d'attente avant le jugement. C'est avec la monarchie absolue, qu'elle jouera le rôle de prison, au même titre que le château de Vincennes.

En 1789, lors de la vente aux enchères des matériaux de la prison, sont notamment proposées des portes dont certaines seront utilisées par la suite à Sainte-Pélagie, comme celle-ci. Les menottes (à gauche) proviendraient également de la Bastille. Selon l'ordonnance de 1670, la torture est légale et a bien été employée à la Bastille. Cependant, il nous est difficile de comprendre comment cet objet de torture (à droite) était utilisé... Sachez que lors de l'abolition de la question en 1780 et 1788, elle a en réalité déjà disparu.

La forteresse a gardé son aspect médiéval presque inchangé jusqu'en 1789, telle qu'elle apparaît dans ce manuscrit de 1484 de Martial d'Auvergne où l'on voit l'arrivée du dauphin, futur Charles VII, à la Bastille en 1418.

Au XVIIe siècle, les lettres de cachet sont manuscrites (celle de gauche date de 1659) et préparées en série - Saint-Simon parle « d'inondation ». Elles sont progressivement imprimées (à droite, 1785). Ces lettres, qui permettaient d'envoyer un homme en prison sans procès sur simple demande écrite du roi, seront dénoncées par Mirabeau, Malesherbes et Breteuil notamment. Les cahiers de doléances demandent aussi leur suppression, qui sera effective en 1789.

Les vêtements et tous les objets que portait sur lui le régicide Damiens furent conservés comme pièces à conviction. Il fut emprisonné pour avoir tenté de tuer Louis XV en 1757 à coup de canif. Son supplice dura plus de deux heures à cause de l'incompétence des bourreaux (mais bon, il l'avait bien cherché, hein ?!), et devant l'horreur suscitée auprès de l'opinion, il fut la dernière personne a avoir été écartelée sous l'Ancien Régime.

Pour pallier la privation de papier et pour communiquer avec l'extérieur, les prisonniers ont recours à divers expédients. Latude multiplia les mémoires, lettres et suppliques afin d'attirer l'attention sur son misérable sort, notamment en écrivant avec son sang sur ces bandes de linge assemblées.

Ce registre d'écrou, tenu par le lieutenant du roi Étienne Du Junca, prouve l'existence de l'homme au masque de fer... qui portait en fait un masque de velours noir. Le célèbre prisonnier a été incarcéré de 1698 à 1703 à la Bastille et compte en totalité 34 années d'emprisonnement. L'identité du prisonnier qui ne devait pas être révélée nourrit encore beaucoup de fantasmes : frère jumeau de Louis XIV, Fouquet, Dr.jéjé, Molière...

Cette note anonyme rappelle qu'à la Bastille, « on a été obligé de le (Marquis de Sade) priver de la promenade à cause de ses violences, et (qu') il ne vit plus qu'avec ses livres et ses papiers ». Le « sadique » a passé de nombreuses années enfermé au cours desquelles il a rédigé certaines de ses œuvres...

... tel ce manuscrit, 1ère version de Justine, publié en 1791. Il est rédigé en 15 jours à la Bastille. Sade écrit alors à Reinaud, à propos de Justine : « On imprime actuellement un roman de moi, mais trop immoral pour être envoyé à un homme aussi pieux, aussi décent que vous (...) Brûlez-le et ne le lisez point (...) je le renie ».

En 1726, Voltaire est embastillé pour une altercation avec le chevalier de Rohan-Chabot. Il sera bien traité et pourra, au bout de 11 jours, s'exiler en Angleterre comme il le demande dans cette lettre autographe, au lieutenant de police Hérault.

Dans ce grand mémoire du 17ème siècle, sont recensés des listes de noms de sodomites. A cette époque, les atteintes aux mœurs sont encore sévèrement réprimées. Le « crime » de sodomie est alors puni de la peine de mort.

Nombre de dossiers des archives de la Bastille, malgré les travaux de restauration entrepris, portent la trace indélébile de la boue des fossés de la Bastille, et des mauvais traitements qu'ils ont subi lors des événements de juillet 1789. On y trouve même des plumes d'oiseau.

Cette gravure populaire de 1789, de facture assez grossière, regroupe deux sujets qu'on s'est plu à représenter à la Révolution. La diffusion de telles estampes tendait à répandre largement dans l'opinion l'horreur de la Bastille.

Ce document de 1769 montre que les « appartements » abritent des détenus « de qualité ». Les moins aisés sont enfermés dans les tours du Puits et du Coin, réputées sinistres, voire dans les basses-fosses. Ils sont seuls ou à deux : on met ensemble des personnes de même sexe (cool pour les sodomites !) et de même rang, et parfois de même famille. Le prisonnier peut aussi loger avec son laquais, avec un garde qui évitera son suicide, ou un espion qui recueillera ses confidences.

Le secret entretenu à la Bastille a nourri les fantasmes autour de la forteresse. A leur sortie, les prisonniers devaient signer cet engagement de silence (tenu par le major Anquetil). Certains prisonniers, comme Sade, refuseront de signer.

Sachez qu'après la prise de la Bastille, on ne découvrit que sept prisonniers. On promènera ce petit groupe en procession dans les rues avoisinantes...

jeudi 17 février 2011

Le musée Cernuschi

Le musée Cernuschi est le musée des arts de l'Asie de la Ville de Paris. Il est situé 7 avenue Vélasquez, dans le 8ème arrondissement (stations Villiers - lignes 2 et 3 - ou Monceau - ligne 2), en bordure du parc Monceau. Le musée est installé dans cet hôtel particulier qu'Henri Cernuschi s'est fait construire pour abriter sa collection d'objets asiatiques, qu'il lèguera à la Ville de Paris. Le musée fut inauguré en 1898, deux ans après sa mort.

Cernuschi, patriote italien, se réfugie en France en 1850, après la révolution italienne. Banquier fortuné, il entreprend un voyage autour du monde, de 1871 à 1873, au cours duquel il acquiert de nombreuses œuvres d'art et d'archéologie, qui proviennent notamment de Chine, et qui sont exposées ici.

Dans le fumoir du rez-de-chaussée, vous êtes directement accueillis par ce remarquable brûle parfum japonais en bronze du début du XIXe siècle. Ce vase chinois (une paire en fait, en émaux cloisonnés) date de la même période.

L'essentiel des collections du musée se trouvent à l'étage et les objets sont présentés chronologiquement. On commence donc avec cette jarre en terre cuite, originaire du Gansu (vers 2800-2500 av. J.-C.), issue de la culture de Majiayao.

Il n'est pas mignon ce vase You en forme de félin ? C'est un bronze du Hunan (XIe siècle av. J.-C.).

Ce panneau présente des objets de Chine méridionale datant du Ve-IIIe siècle av. J.-C., de l'époque du Royaume de Chu. De gauche à droite, vous avez un andouiller, un cerf surmonté d'andouillers, un serviteur à natte accompagné d'une servante, et un support de tambour (en haut).

Vous ne pouvez pas rater ce colossal Buddha Amitābha en bronze de Meguro (un quartier de Tokyo) du XVIIIe siècle. Cette grande salle fut spécialement construite pour abriter cette œuvre emblématique du musée. Regardez, Latourbe a l'air minuscule à côté !

Tout autour, une multitude d'objets sont exposés tel cet arbre divin du Gansu de l'époque des Han de l'Est (25-220)...

... ou cette maquette de ferme fortifiée en terre cuite du Vietnam (Ve siècle).

La mezzanine - à laquelle on accède en passant sous le gros Bouddha - est consacrée à la statuaire bouddhique. Ce Bodhisattva (mais si, rappelez-vous, on en a déjà parlé !) en grès provient de Yungang, dans la province de Shanxi (vers 470).

Oh la jolie stèle bouddhique en pierre (560) de l'époque de la dynastie des Qi du Nord !

Et ici, un Buddha Amitābha en marbre du Hebei, du style des Qi du Nord, mais datant de la dynastie des Liao (907-1125).

Quelle horreur cette bête gardienne de tombeau en terre cuite de la dynastie des Wei du Nord (386-534). Là c'est sûr, le mort ne risque pas d'être dérangé... Dr.jéjé a rarement vu un monstre aussi repoussant...

On termine avec ce guerrier (wushiyong) en terre cuite du Gansu (VIIe siècle).

dimanche 6 février 2011

Le château de Vincennes

Non, Dr.jéjé n'est par mort ! Je sais qu'il vous a sacrément manqué, mais Dr.jéjé traverse actuellement une période professionnelle très mouvementée. Du coup, la publication de ses visites est perturbée... Par ailleurs, pour se reposer de ce surplus de boulot, Dr.jéjé et Latourbe ont décidé d'aller passer quelques jours en Grèce - à Athènes - à la fin du mois. Vous pouvez donc espérer la reprise normale de l'activité du blog au cours du mois de mars... En attendant, je vous propose de découvrir le château de Vincennes, situé dans la commune éponyme (hé oui, l'impétueux Dr.jéjé retourne encore une fois en banlieue). Pour vous y rendre, rien de plus simple : empruntez la ligne 1 du métro jusqu'à son terminus, la station Château de Vincennes (ça ne s'invente pas...). Ici, vous pouvez voir la tour du Village, la porte d'entrée principale (d'origine).

Mais avant de pénétrer dans le site, admirons l'enceinte. Cette dernière, longue de 1100 mètres, participe du grand projet de Charles V de transformer Vincennes en cité fortifiée. À l'origine, plusieurs tours, hautes d'environ 40 mètres, servaient à la fois d'habitation et d'éléments défensifs. Sept ont été arasées pour recevoir des canons quand Napoléon Ier a transformé Vincennes en place forte militaire. Aujourd'hui, le château abrite le Service historique de la défense.

On est maintenant sur la pelouse bordant l'allée centrale. Ce bâtiment, le pavillon des armes, est une construction du règne de Louis XVIII. Il abritait alors un arsenal d'artillerie. C'est également à cet emplacement que s'érigeait le manoir de Saint Louis, dans lequel naquit Charles V. Les vestiges de cette fontaine du XIIIe siècle sont aujourd'hui les seuls témoins visibles du manoir. Ce chêne (à gauche), qui fut béni par l'archevêque de Paris en 1952, évoque Saint louis rendant la justice...

Charles V fonde cette Sainte-Chapelle en 1379 sur le modèle de celle du Palais de la Cité à Paris. Elle fut achevée seulement sous le règne d'Henri II, en 1552.

La Sainte-Chapelle de Vincennes fut longtemps l'écrin d'un morceau de la croix et d'une épine de la couronne du Christ. Elle est de nos jours bien vide...

À partir de 1654, à la demande de Mazarin puis de Louis XIV, d'importants travaux sont réalisés : le pavillon de la Reine et celui du Roi (que vous ne pouvez pas voir puisqu'il est derrière nous), en parfaite symétrie. Ces pavillons sont reliés par une galerie réalisée par l'architecte Le Vau, destinée à séparer l'habitation de plaisance de Louis XIV des vieux bastions de Charles V. Ils forment un ensemble remarquable de style classique.

On passe au donjon ! S'élevant à 50 mètres, c'est le plus haut donjon du Moyen Âge. Il est protégé par une enceinte et un profond fossé, en eau à l'origine.

Pour monter au donjon, on doit emprunter un escalier (tout à droite). C'est le plus ancien exemple conservé d'escalier hors d'œuvre, éclairé par cinq baies superposées. Notez qu'à l'origine, la passerelle était le seul accès au donjon (pour des raisons évidentes de sécurité).

Depuis la passerelle on accède directement à la salle du conseil. Elle était le lieu des réceptions officielles et des séances de travail entre le souverain et ses conseillers. Toutes les voûtes des salles du donjon reposent sur cette fine colonne centrale. Remarquez le décor sculpté de la salle, qui date d'après l'installation de Charles V, en 1367.

Puis on monte dans les appartements privés du roi. Là, c'est sa chambre. Comme toutes les autres pièces du donjon, elle était lambrissée, comme en témoignent les crochets de fer encore visibles sur les murs, qui servaient à fixer les lambris.

Ne ratez surtout pas les latrines du roi. En effet, leur présence n'était pas courante à cette époque...

Au rez-de-chaussée il y a cette porte massive qui provient de la prison du Temple. Elle rappelle (avec les inscriptions restantes sur les murs) le passé carcéral du donjon, du XVIe siècle à 1784, année à partir de laquelle les prisonniers sont transférés à la Bastille. Bon, c'était une prison de luxe qui a notamment accueilli Nicolas Fouquet, Voltaire, le marquis de Sade, Mirabeau ou Diderot.

On termine la visite avec cette maquette réalisée à partir de la gravure d'Israël Silvestre représentant le château vers 1650. On peut notamment y voir le manoir des Capétiens aujourd'hui disparu, et la Sainte-Chapelle en construction.

Sachez pour l'anecdote qu'il paraît que Charles de Gaulle, alors Président de la République, forma le projet de quitter le palais de l'Élysée - qu'il ne trouvait pas assez prestigieux pour accueillir le chef de l'État - au profit du château de Vincennes...